Dans la série des reportages à travers les villes et paysages hellènes, Kalimera Massalia vous souhaite la Bienvenue à Nicosie, la capitale de Chypre.
Aux portes de la cité vénitienne
Notre visite commence sur la Place de la Liberté (Plateia Eleutherias) récemment rénovée par le bureau Zaha Hadid. Il s'agit d'une vaste esplanade d'un blanc pur, des bancs aux formes modernes, des cafés, des jets d'eau.
Anciennement place Metaxa, du nom du dictateur grec, elle a été renommée en 1974, montrant le besoin indéniable de paix après l'invasion turque de la même année.
A quelques mètres, dans le paysage chypriote s'élève une tour assez contemporaine culminant à environ 67 mètres de hauteur. Il s'agit d'un édifice dessiné par le bureau de Jean Nouvel.
Des noms et styles architecturaux qui sonnent comme un écho et nous apportent une touche de familiarité, puisque à Marseille la tour CMA CGM de Zaha Hadid et sa voisine la Marseillaise de Jean Nouvel se distinguent dans le quartier de la Joliette.
A l'intérieur des remparts
Nous voilà entrés dans la vieille ville. Les vieux remparts vénitiens en excellent état, dessinant un cercle quasi parfait, entourent le cœur vibrant de la capitale.
Des magasins, cafés et restaurants se multiplient dans les ruelles étroites. Quelques musées apportent une touche culturelle à l'ensemble.
Ainsi, le musée d'art byzantin possède une riche collection d'œuvres religieuses. L'exposition "Trésors de Chypre" organisée en 1967 à Paris a d'ailleurs fortement aidé à la conservation de ces icônes. Les plus emblématiques proviennent de l'église Faneromeni qui se situe à 700 mètres du musée.
Croisé dans un kaféneion, nous demandons à un vieil homme originaire d'un village aux abords de Nicosie son sentiment sur le contexte actuel. "J'ai peur de m'habituer à cette situation, quand on s'habitue à une situation c'est qu'on l'accepte.” Nous explique-t-il avec sévérité. Des commerces essaient de dérober de l'espace à la zone tampon comme pour la revitaliser.
Les barbelés et barricades délimitent toutefois la frontière à ne pas franchir, nous obligeant à aller jusqu'à la rue Ledras, l'artère commerciale où se situe le point de passage le plus proche vers la partie occupée.
Le tout premier point de passage a été ouvert en 2003, ils sont aujourd'hui au nombre de 9 sur l'île et au nombre de 3 dans la capitale, dont deux exclusivement piétons.
Pour continuer notre route nous sommes donc dans l'obligation de montrer nos papiers comme si nous quittions le territoire chypriote. Pour rappel, la partie occupée illégalement par la Turquie n'est reconnue que par elle-seule.
Nicosie l'histoire d'une capitale séparée
Quelques années seulement après l'indépendance de Chypre, des tensions surviennent entre les organisations paramilitaires chypriotes grecques et turques respectivement l'EOKA et le TMT. Pour y mettre fin, le général britannique chargé de la mission d'interposition trace sur une carte au crayon vert une ligne de division, le terme "ligne verte” apparaît et sera aussi utilisé après 1974 pour désigner l'intégralité de la zone tampon.
Seuls les chats se baladent en toute liberté des deux côtés de la capitale comme pour nous souligner l'absurdité de la situation et par extension celle des décisions humaines.
A quelques rues du point de passage nous admirons Agia Sophia, Sainte Sophie. Il ne s'agit pas là du joyau architectural d'Istanbul mais d'une église de style gothique érigée entre le XIIème et le XIII ème siècle par les Francs. Elle est transformée en mosquée au XVI ème siècle, et porte actuellement le nom de mosquée Selimiye.
Nous parlons avec les habitants de la partie occupée, un homme nous explique avoir quitté son village reculé de Turquie il y a une trentaine d'années pour trouver une certaine stabilité et prospérité dans la capitale de l'île d'Aphrodite. Comble de l'ironie lorsqu'à quelques mètres la présence des casques bleu est notable.
La séparation de la capitale devient pérenne avec l'invasion turque de 1974. Outre les problématiques sociales et humaines liées à cette séparation, cette dernière a créé des problématiques institutionnelles tangibles, l'exemple le plus frappant reste celui de la mise en place du réseau d'eaux usées. Débuté en 1972, il est totalement freiné deux ans plus tard lors de l'invasion. Il faudra le bon sens du maire de la partie chypriote grecque Lellos Dimitriades pour éviter le pire. Allant à la rencontre du maire de la partie occupée Mustafa Akinci, ils sauront mettre de côté leurs différends politiques pour le bien commun et l'amour de leur ville dans un contexte de tensions manifestes.
Source : Google maps
Nicosie, un espoir d'union
Nicosie est une ville divisée dans laquelle les deux parties se sont développées à des rythmes différents. Une ville qui ne ressemble à aucune autre, les deux faces bien différentes d'une même pièce. Elle a la particularité d'être la seule capitale séparée en deux au monde. Une particularité qu'elle se passerait bien de posséder.
Nous regagnons la partie libre de la capitale et notre visite s'achève, nous laissant un goût d'amertume et une sensation d'impotence. Dans le brouhaha commun des villes de Méditerranée, on distingue bientôt le tintement des cloches de l'église Fanoromeni suivi en cœur du chant du muezzin appelant à la prière. Ces sonorités pourraient-elles être le présage qu'une solution de cohabitation sans barbelés est possible?
Photos : Eleni Pratsi