Hauts lieux de culture et de transmission, les musées sont les gardiens de l'Histoire. Mais doivent-ils seulement refléter le patrimoine du pays dans lequel ils se trouvent ?
L'équipe de Kalimera Massalia se penche sur l'une des querelles les plus emblématiques du genre : les marbres du Parthénon.
Le Parthénon : un monument unique
La légende raconte que deux dieux se seraient disputés la ville : Poséidon et Athéna. Le premier offre un cheval invincible ou selon les versions une source d’eau salé, la seconde un olivier symbole de paix et de prospérité. Le bien le plus précieux est celui de la déesse de la sagesse et de la guerre : Athéna devient la patronne de la cité. Sur le sommet de l'acropole d'Athènes se dresse son temple : le Parthénon.
Érigé à l'apogée de la ville au Vème siècle avant J.C à la demande de Périclès alors stratège de la cité, il constitue l'œuvre de trois architectes talentueux Phidias, Ictinos et Callicratès.
Il est construit avec du marbre pentélique, un marbre caractéristique pour sa robustesse et sa pureté issu des chaînes de montagnes pentéliques, situé en Attique à quelques kilomètres de l'acropole.
Le temple mesure 70 mètres de longueur sur plus de 30 mètres de large et se distingue par ses colonnes doriques arquées. Il abritait la statue en chryséléphantine d'Athéna de 12 mètres de haut. Des frises et sculptures racontant des récits épiques et fondateurs de la cité ornaient les frontons du temple. Ce dernier a été construit en moins de 9 ans, reflétant à la fois un savoir-faire unique et une prouesse architecturale inouïe.
A travers les siècles, le monument a connu de nombreuses transformations, il a abrité une église puis une mosquée et a subi maintes dégradations. Cependant, il reste le symbole intemporel de la genèse de la démocratie et le berceau des civilisations occidentales.
C'est cette double dimension à la fois artistique et historique qui en fait un monument admiré mais aussi convoité.
L'histoire d'un déracinement et d'un exil forcé
Faisons une petite rétrospection historique sur l'épopée des marbres du Parthénon.
Nous sommes au début du 19ème siècle, Athènes est alors sous le joug de l'empire ottoman. L'opinion publique européenne et la scène intellectuelle soutiennent la cause grecque et ses envies de liberté.
Pour n'en citer que quelques-uns : Hugo à travers son poème L'enfant, Delacroix et son tableau représentant La Grèce sur les ruines de Missolonghi ou encore Lord Byron qui choisira de se battre aux côtés des Grecs pour leur indépendance, illustrent cette vague philhellène.
C'est dans ce contexte que Thomas Bruce, plus connu sous le nom de Lord Elgin, diplomate, militaire et alors ambassadeur à Constantinople met en place une expédition pour la copie des marbres du Parthénon. L'idée d'origine est de faire des moulures et des dessins des éléments dans le but à la fois de transmettre à ses compatriotes britanniques la culture de l'architecture antique mais aussi d'embellir sa demeure.
L'expédition s'avérant plus coûteuse et longue que prévue et les moulures beaucoup moins réussies que les marbres originaux, Lord Elgin décide de s'emparer des marbres authentiques. Ses ouvriers scient tout simplement des morceaux de ce monument unique et le dégrade de manière irréversible : les éléments ne pourront jamais être replacés sur le Parthénon.
Ainsi, la frise du fronton ouest représentant le mythe fondateur de la cité, celui de la dispute entre Poséidon et Athéna est scindée en dizaines de pièces. L'une des cariatides de l'Érechthéion est retirée de son portique. Des parties entières des métopes du Parthénon, ces dalles de pierre sculptées en relief sont coupées.
Un monument qui avait su se conserver et rester debout durant près de 2 siècles, connaît en moins de 4 ans la plus grande dégradation volontaire de son histoire.
Pour leur transport, les marbres sont de nouveau fractionnés en plus petites pièces car leur poids était trop important pour le voyage en bateau.
Ils naviguent alors depuis la Grèce vers l'Angleterre où ils servent d'éléments décoratifs dans la résidence de Lord Elgin.
Quelques années plus tard, ce dernier fait faillite et se voit dans l'obligation de vendre son précieux butin. Le British Museum a vent de l'information et décide de lui racheter l'intégralité des antiquités dérobée à la Grèce qui y sont depuis exposée. On considère aujourd'hui qu'environ la moitié des sculptures et fresques qui agrémentaient le Parthénon se trouve en Angleterre.
Des délibérations pour mettre un terme à l'exil forcé
La contestation grecque arrive très tôt, dès le déracinement des marbres du Parthénon. Avec des prises de position de figures emblématiques de l'époque comme l'écrivain et philosophe Adamántios Koraïs ou encore, celle de Yeóryios Papaflessas. Ce dernier qui est alors ministre de l'Intérieur élu par l'Assemblée nationale de la révolution d'Astros, instaure en pleine révolution un décret pour la conservation des monuments antiques.
Mais comment fomenter une révolution et se battre pour conserver son héritage culturel et architectural ?
Après la guerre d'indépendance, aux alentours de 1835, Othon Ier alors roi de Grèce demande de manière directe à l'Angleterre le retour des marbres du Parthénon. Cette dernière répond pouvoir lui envoyer des copies, la Grèce assure préférer les originaux. La pétition grecque n'aboutira jamais.
Ce n'est qu' à partir des années 1980 que les délibérations reprennent, vivement menées par celle qui est alors ministre de la Culture : Melina Merkouri. Il s'agit pour la Grèce et son ambassadrice d'une priorité certes culturelle et historique mais avant tout d'une priorité identitaire.
Elle déclarera :
"Les marbres sont notre fierté, notre identité, notre lien avec l'excellence grecque. Ce sont des créations synonymes de démocratie et de liberté. Ils sont pour nous le témoignage grec que l'être humain peut être vertueux. Ils sont notre héritage culturel. Ils sont notre âme! [...] Monsieur David Wilson, le directeur du British Museum me pose sans cesse la même question monotone. Pourquoi ne demandez-vous pas à la France de vous rendre la Vénus de Milo? [...] Alors qu'il sait bien que notre but n'est pas de vider les musées à travers le monde. Nous lui avons répété que la Vénus de Milo est une pièce individuelle, une seule statue, les Marbres du Parthénon sont les parties d'un monument unique dont l'intégrité a été déchirée.
La question n'est pas de savoir quel droit a la Grèce sur les marbres mais au contraire elle est de savoir quel droit aurait l'Angleterre."
Depuis plusieurs campagnes ont été menées et le débat reste ouvert. L'une des dernières campagnes portant le slogan Bring them back (Ramenez-les) montrait dans une vidéo avec humour la disparition de l'horloge du Big Ben.
La restitution des Marbres du Parthénon : une problématique plus large
L'argument de l'acquisition légale
L'Angleterre revendique une acquisition légale. En effet, elle prétend que Lord Elgin avait en sa possession un firman c'est-à-dire un écrit signé par le grand vizir qui l'autorisait à retirer des morceaux du Parthénon. Cependant, il n'existe à ce jour aucune preuve tangible de l'existence d'un tel document. Seule une traduction du fameux firman du turc en italien a été retrouvée mais le contenu reste assez aléatoire et vague quant à l'accord de scinder des morceaux du monument. Le document approuverait plutôt l'accès, la copie et la création de moulures.
Par ailleurs, la Turquie a récemment démenti avoir délivré une telle autorisation qui permettait la dégradation du Parthénon.
De son côté, Lord Elgin interrogé par les autorités britanniques expliquait avoir obtenu l'autorisation d'emporter les marbres par le soudoiement du sultan qui a volontiers fermé les yeux.
Mais dans l'hypothèse qu'un firman ait bien été signé par les autorités ottomanes, quelle légitimité aurait-il lorsqu'il a été concédé par l'occupant?
Lors d'un débat télévisé sur le question de la restitution des marbres du Parthénon, l'acteur et écrivain anglais Stephen Fry, explique :
" C'est comme si sous l'occupation nazie des Pays-Bas, l'ambassadeur américain à Amsterdam avait fait un marché avec le dirigeant nazi afin de s'approprier La ronde de nuit de Rembrandt. Comment pourrions-nous accorder une valeur légitime à ce marché et ne pas le remettre en cause face à une demande des Pays-Bas de restitution de l'œuvre ? ".
L'argument de la Préservation
Jusqu'à présent, le British Museum brandissait le drapeau de la préservation des pièces dérobées expliquant que la Grèce n'avait pas de lieu pour les exposer. Avec le nouveau musée de l'Acropole, inauguré en 2009 cet argument ne tient plus. De plus, les outils en bronze et des brosses métalliques utilisés au début du 20ème siècle par le British Museum pour nettoyer les marbres antiques les ont fortement abîmés. Ces méthodes vont à l'encontre de toutes les règles de conservation. Des dégradations ont aussi été constatées lors du blanchiment de la pierre avec des techniques trop agressives.
L'argument d'une culture universelle
L'un des autres arguments présentés par l'Angleterre repose sur le rôle d'un musée. Elle explique que ce dernier doit permettre une ouverture sur le monde, instruire et apporter les connaissances d'autres civilisations. Un musée doit faire naître et entretenir la sensibilité cosmopolite.
Deux problématiques se dressent face à ce raisonnement.
La première est de savoir comment décider quels musées auront le privilège et le monopole de la conservation de l'héritage culturel d'autres pays ? Notons ici que la réponse se résume par une expropriation illégitime passée et par un banal : “premier arrivé, premier servi”.
Puisque les musées doivent permettre une ouverture sur le monde, la seconde problématique serait de savoir pourquoi le British Museum refuserait avec autant de zèle de créer des copies et de rendre ce que de droit.
L'argument des musées vides
Selon l'historien anglais Tristram Hunt, lors d'un discours tenu en 2013, restituer les marbres du Parthénon ce serait perdre le cœur de l'exposition du musée et cela remettrait en question la présence de toutes les œuvres exposées au British Museum provenant de Grèce mais aussi d'autres pays. Que serait le British Museum sans les œuvres étrangères ? Aurait-il autant de succès sans les œuvres originales ?
Toujours d'après M.Hunt ce serait grâce au British Museum que le Parthénon et ses marbres ont une reconnaissance et une renommée mondiale. D'ailleurs pour les Anglais ce sont les marbres d'Elgin.
Un espoir de restitution ?
D'autres musées et entités détiennent des morceaux du Parthénon comme le musée du Louvre ou encore le musée de Palerme. Le musée du Louvre a prêté ses pièces au musée d'Athènes pour les 200 ans de l'indépendance grecque tandis que celui de Palerme les a restituées de façon permanente à la Grèce en 2022. Malgré cette belle initiative de la part des Italiens, l'Angleterre ne semble pas prête à suivre l'exemple.
Comme Ulysse impatient de retourner à Ithaque, les marbres du Parthénon espèrent retrouver leur terre natale après presque 2 siècles d'exil où une place dans le musée au pied de l'Acropole les attend.