Après avoir assisté à l'exposition : "Autres Regards de Méditerranée" à l'espace Jouenne, mettant en avant des artistes chypriotes, l'équipe de Kalimera Massalia a eu la chance de rencontrer Stelios Ioannides, fils du peintre chypriote Victor Ioannides, qui rend hommage à son père et à la culture grâce à la Fondation Victor Ioannides.
Découvrez ci-dessous l'interview complète !
Nous vous remercions encore une fois M.Ioannides. Pourriez-vous nous parler de votre venue à Marseille ?
Je vous remercie également de me donner l'opportunité de m’adresser au public de Marseille et, plus particulièrement, au public hellénique de Marseille, et je tiens à remercier tous ceux qui ont eu la gentillesse d'aider à la réalisation de cet événement. L'événement est organisé en collaboration avec la fondation Espace Michel Jouenne et la fondation Victor Ioannidis, qui a été créée dans le but de promouvoir la vie et l'œuvre de Victor Ioannidis, un peintre pionnier, faisant partie de la première génération d'artistes chypriotes qui ont posé les bases de la peinture chypriote. En outre, la fondation Victor Ioannidis s'occupe et aspire à collaborer au développement d'autres événements culturels liés à tous les arts et pas seulement à la peinture, ainsi qu'à d'autres événements culturels afin de promouvoir la culture dans la société chypriote.
Concernant l'événement qui a eu lieu ici à Marseille, cela a commencé dans le cadre d'une tentative d’unification et d'échange d'événements dans le cadre d'un jumelage envisagé entre les deux villes. Deux villes portuaires, des ports remarquables en Méditerranée, et dans ce cadre, cette collaboration a débuté en 2023 avec l'exposition du peintre Michel Jouenne à Limassol, qui a eu un grand succès. En contrepartie, nous sommes ici avec l'exposition d'un artiste chypriote à Marseille. Cette exposition est également accompagnée par la présentation de trois autres artistes contemporains et plus jeunes, Konstantinos Ptochopoulos, Aristos Christoforou et Nicole Ioannides, qui est également la petite-fille de Victor Ioannides. Nous considérons que cet événement a eu un grand succès. Je suis ravi de constater qu'il y a un grand intérêt pour Chypre, pour la vie artistique de Chypre, et c'est ce qui aide ou encourage, à organiser des événements similaires.
Nous avons organisé un tel événement à Athènes, en tant que fondation Victor Ioannides, une grande rétrospective des œuvres de l'artiste en 2023. Athènes, la ville où il a étudié, où il a travaillé pendant plusieurs années, et qu'il a beaucoup aimée. Donc, dans ce cadre, nous aspirons à continuer ces événements afin de promouvoir non seulement l'œuvre de cet artiste spécifique, mais aussi, de manière générale, l'unification de la culture des deux villes. J’ai toujours dit qu’il était impossible que l'art chypriote, la peinture chypriote, soient différenciés de la peinture grecque. C'est une nation, c'est quelque chose qui doit être unifié, et c'est précisément le but de la création de tels événements et d’échanges afin que le public, tant chypriote que grec, puisse comprendre et réaliser, si vous voulez, qu’il n’y a qu’un art, surtout dans le vaste espace grec.
C'est quelque chose que j'ai toujours trouvé étrange dans le sens où les artistes chypriotes n'ont pas été promus autant qu'ils auraient dû l'être et que leurs œuvres ne soient pas suffisamment connues du grand public grec, alors qu'à l'inverse, il y avait cette tendance. Et je pense que cet effort doit être soutenu.
Victor N. Ioannides
Dance à Vienne, 1966
Technique mixte, tempera/acrylique
sur panneau dur, 49x44cm
Collection Fondation Victor N.Ioannides
Victor N. Ioannides
Soirée au piano, 1963
Huile sur Carton dur, 60x49cm
Collection Fondation Victor N.Ioannides
Avez-vous remarqué des points communs entre la peinture française que vous avez vu à Marseille et la peinture chypriote ?
Oui, en effet, il y a pas mal de points communs, certainement par le fait que ce sont toutes les deux des villes portuaires. Si je regarde particulièrement la thématique des œuvres de Michel Jouenne par rapport à celle des œuvres de Victor Ioannides, vous verrez qu'il y avait beaucoup de points communs tant en ce qui concerne la technique que les thèmes abordés. Étant donné que ce sont deux villes portuaires, il était inévitable que la mer et le port soient des éléments communs. En fait, si l'on fait attention au choix que nous avons fait pour la présentation à l'Espace Jouenne, c'était comme une continuité. Donc, c'était quelque chose de très réussi, également d'un point de vue historique.
Les descendants des deux peintres ont agi de la même manière. C'est-à-dire que Christian Jouenne et sa famille ont créé cet espace magnifique ici en l'honneur de leur père, un espace artistique pour présenter non seulement l'œuvre de leur père mais aussi un centre culturel, car il ne s'agit pas seulement d'expositions. De la même manière, nous avons utilisé cette approche pour la fondation Victor Ioannides.
Vous êtes-vous déjà intéressé à l'art ?
Oui, je vous dirais que vivre dans une telle famille a certainement été un élément d'influence qui était à la fois inévitable et positif. En même temps, j'ai hérité, dans le sens où j'aime ce qui est beau, d'avoir la sensibilité du beau, l'esthétique en général dans tout ce que je fais, et par exemple, si j'avais étudié l'architecture, j'aurais été bon. Mais en tant que peintre, j'ai l'opinion qu’on naît peintre. Quelqu'un qui est autodidacte ou qui étudie dans une école des beaux-arts pourra certes atteindre certains niveaux, mais s' il n'a pas en lui le gène depuis sa naissance, il ne sera jamais aussi talentueux.
Et pour donner un exemple, que j'ai vécu et qui, selon moi, fait la différence entre un bon artiste et un artiste talentueux. Quand j'étais petit, et que j’observais mon père peindre et il avait l'habitude de prendre son carnet de croquis partout où nous allions, que ce soit dans un restaurant ou ailleurs, et il esquissait tout ce qui lui plaisait, que ce soit une personne, un visage, un mouvement, un lieu, il le dessinait. Il avait une capacité de dessin incroyable. Et avec cet exemple, je veux montrer la différence entre le talent : un artiste, s’il se met à dessiner un visage par exemple, il commencera logiquement par les yeux, le nez, la bouche, disons, et ensuite, il a besoin de 10 coups de crayon pour compléter le dessin. Dans le cas de mon père, et je pense que tous ceux qui sont talentueux, je m'asseyais à côté de lui et je voyais exactement ce qu’il dessinait.
Et parmi les esquisses, s'il fallait 10 à 20 coups de crayon pour compléter ce dessin, il commençait avec un, deux, trois, cinq ou dix, et je ne pouvais pas encore comprendre sur le papier ce que c'était, bien que je savais que c'était le visage de la personne qui était en face de nous. Et au bout du onzième ou douzième coup de crayon, tu voyais immédiatement le résultat devant toi, la forme. Cela, pour moi, est un exemple caractéristique de la différence entre quelqu’un de talentueux et un simple artiste. Parce que ce qu'il dessinait, il l'avait immédiatement en tête, quelque chose que les autres personnes ne pouvaient pas voir. C'est, selon moi, une caractéristique de cette différenciation.
Pouvez-vous nous parler de votre pere, Victor Ioannides ?
Son principal atout était qu'il avait une grande facilité à dessiner, et si vous regardez les dessins à l'encre de Chine, vous remarquerez que la représentation est très fidèle à la réalité. Cela l'a beaucoup aidé dans l'achèvement de son œuvre en termes de rapidité, et c'est d'ailleurs ce qui, lorsqu'il était étudiant, dès sa première année d'études, du fait de son habitude à tout dessiner, a attiré l'attention d'un rédacteur de journal qui l'a approché. Il a été engagé comme dessinateur officiel dans 3 ou 4 journaux différents pendant ses études. C'était quelque chose de très important pour lui. Il s'est intéressé à tous les sujets, y compris les portraits.
s'est-il occupé des questions politiques ? Voulait-il les représenter ou pas du tout ?
Non, il ne s'est pas occupé de cela et détestait la politique. Il ne s'est jamais intéressé aux thèmes politiques de Chypre et de la Grèce. Il s'est concentré uniquement sur les paysages naturels, mais aussi sur tous les sujets, c'est-à-dire qu'il a travaillé sur des portraits, des natures mortes et des paysages, en particulier des scènes rurales de Chypre, de la vie quotidienne, etc. Les villages et ce type de sujet, il les a peint dans ses esquisses ; il a réalisé d'innombrables dessins au crayon et à l'encre de Chine, qu'il utilisait.
Pouvez-vous nous raconter l'histoire derrière votre portait ?
Concernant l'œuvre, quand j'avais 5 ans, c'était en 1955, lorsque la lutte de libération de l'EOKA (Organisation nationale des combattants chypriotes) a éclaté, et ce jour-là, il y avait un couvre-feu. Derrière ma maison, il y avait des terrains vagues et nous jouions au football. Une jeep avec des soldats anglais nous a vus, nous étions 5 ou 6 enfants, et ils sont venus pour nous gronder et nous dire de rentrer chez nous. Mon père était à la fenêtre dans le jardin et a vu cela, il a eu peur et m'a appelé pour que je rentre. En partant en courant, la jeep était ouverte, un des soldats avait laissé son béret noir et je l'ai attrapé et je suis rentré chez moi. Quand mon père a vu que j'avais pris le béret de l'Anglais, il a pensé qu'ils allaient venir ici nous causer des problèmes, alors il voulait que je reste tranquille et m'a dit de m'asseoir pour qu'il me dessine. C'est ainsi qu'il a créé ce portrait, étant donné que depuis petit ou même plus tard, je n'avais jamais montré d'intérêt à rester pour qu'il me dessine. C'était l'une des raisons pour lesquelles cette œuvre est devenue si caractéristique, authentique et fidèle, grâce à sa capacité de dessiner très rapidement.
Je vous remercie beaucoup pour l'opportunité qui m'est donnée de dire ces quelques mots et je tiens à dire que c'est une très bonne initiative que vous avez commencée, car il est vraiment très important que le peuple de Marseille ait la possibilité de connaître Chypre, mais aussi que la communauté chypriote et grecque maintienne des liens avec leurs pays d'origine, car c'est ainsi que l'on continue à entretenir l'amour pour la patrie et, en général, pour le lieu dont nous venons, ce qui est en essence un besoin humain. Donc, merci encore et je vous souhaite bonne chance pour vos prochaines initiatives.
Nous remercions encore une fois M.Stelios Ioannides pour le temps qu'il a accordé à Kalimera Massalia !